Beaucoup d’endroits d’ Eguisheim ont gardé jusque dans les années 1970 leurs dénominations usuelles en alsacien .Ce sont des lieux dits qui avaient un sens totalement oublié de nos jours et c’est bien dommage ! Voici quelques exemples :
Uff d’er Schetzàmùr (rue du Muscat) uff’m Diddelberg (rue du Traminer), uff d’er Schlossbruck (Rue du Château), uff’m Poschtàpeckàlà (porte des Chevaliers), uff’m Äwertor (porte Haute), uff’m Bach (rue des trois Châteaux
1.- 1648-1793 Aux armes citoyens, la Patrie est en danger !
Dès le retour de l’Alsace à la France en 1648 Louis XIV fortifie la frontière rhénane pour la rendre infranchissable. C’est le début de conflits incessants avec les Habsbourgs qui n’avaient qu’un objectif reprendre l’Alsace aux Français.
Dans une lettre conservée soigneusement aux archives de la société d’Histoire et d’Archéologie d’Eguisheim (SHAE) et datée de 1744 on apprend que la Ville est propriétaire des fossés secs dont jouit la compagnie de TIR. Par ailleurs les archives locales nous révèlent que l’exercice du tir à la cible existe depuis des temps immémoriaux et qu’il a toujours été encouragé et soutenu par l’administration locale. Le fait que les hommes s’y exercent à manier et diriger les armes à feu les préparant ainsi à être de bons défenseurs des frontières de la patrie.
La révolution française de 1789 met fin à la royauté et installe en 1793 la Première République qui dans le domaine militaire instaure le service national obligatoire pour tous les hommes entre 16 et 40 ans. La pratique du Tir avait tout son sens en préparant nos citoyens à être de bons soldats.
2.- Transformation de la maisonnette de tir en 1811.
Au PV communal du 12 avril 1811 Jean Breitel Maire d’Eguisheim, sur proposition du Préfet, accepte de reconstruire et d’élever la maisonnette de tir pour la somme de 400 F. Puisqu’on reconstruit, c’est la preuve qu’un premier local de tir existait à cet endroit avant 1811.
Voici le plan du 12 avril 1811 du premier étage de la tirerie. (salle de tir)
Au Rez- de - chaussée se trouve la salle d’assemblée, d’inscription, et de distribution des tirs. On entre ensuite dans la grande salle de charge et de stockage de 18 barils de poudre noire puis dans la petite salle appelée cabinet de mire où l’on effectuait les tirs.
Plan du logement de service du 12 avril 1811 au sous sol .
Ce logement comprend une cuisine, deux chambres, une entrée et un séjour. Détail intéressant on apprend que ce logement se trouve dans le fossé de circonvallation .
3.-Cadastre napoléonien d’Eguisheim de 1828
La maisonnette de tir à la cible « Schützenhäusle « se situait à l’actuel carrefour des Marronniers dans le fossé de circonvallation. Plus loin à 160 mètres en ligne droite et adossé au fossé de la ville dit « Schützen Graben » se dressait le mur de cible dit « Schüzenmauer » (à l’entrée de l’actuelle rue des vendangeurs).Nous avons là toute l’explication du lieu dit uff d’er Schetzamùr
Le plan cadastral d’Eguisheim ci-dessous , dressé par Le Géomètre Pierre Paul Baur en 1828 , indique soigneusement ce champ de tir uff d’er Schetzamùr .
4.-Fonctionnement et déclin de la compagnie de Tir d’Eguisheim de 1828 à 1851
On conserve aux archives de la SHAE un registre de 1844 de la compagnie de tir à la cible qui nous donne les renseignements suivant :
La compagnie de Tir est composée d’un comité comprenant 5 membres dont un Président (Schutzenmeister) Monsieur Riegert Jacob, un secrétaire( Schreiber) Monsieur Bendele Xavier.
Le 9 mai 1844 on compte 27 membres tous âgés de plus de 21 ans.
Le budget de 1844 est de 330,85 F dont 35,50 F de recettes et un solde négatif à la charge des membres de 295,35 F
La société met en adjudication annuel le 8 avril 1844 sa piste de quille pour 71 F à Monsieur Munschy Lorent.
L’association a un règlement interne .Toute irrégularité est sanctionné par des amendes allant de 20 à 40 cts.
Un jeune tireur doit rester au minimum 6 mois dans la compagnie sauf s’il est convoqué sous les drapeaux.
La compagnie n’accepte ni les hommes malhonnêtes ni les voleurs.
Le 7 juillet 1844 156 tirs furent effectués de 13H à 21H pour des séries de 5 tirs à la cible appelés ordinaires. Les gagnants remportent comme lots des chandelles de bonnes qualités. Des tireurs se font remarqués, le Maire d’Eguisheim Jaenger Pierre Paul ainsi que le Maire de Breitenbach, Boll Sébastien, Ley Jean Baptiste, Beyer Antoine, Schultz Léon, tous notables de la commune et membres de l’association.
Le fusil 1777 à poudre noire utilisé ( mélange de salpêtre, de soufre et de charbon) était fabriqué à la manufacture d’armes de Charleville .A l’époque c’était le meilleur fusil au monde d’une portée de 150 mètres. Une pièce d’archive du 28 novembre 1851(conservée à la SHAE) atteste des mouvements de stock du fusil 1777 et des sabres à Eguisheim de 1830 à 1851.
25 Août 1830 reçu 70 fusils 1777
18 Août 1831 reçu 22 sabres
29 Août 1832 reçu 60 fusils 1777 et 110 sabres
1840 retour à l’Arsenal de Neuf Brisach 45 Fusils et 44 Sabres
10 mars 1848 reçu 75 fusils 1777
7 novembre 1851 retour à l’Arsenal de Neuf Brisach 100 Fusils et 20 sabres
Stock restant à Eguisheim en 1851 60 Fusils et 20 sabres.
Voici le document du 28 novembre 1851 retraçant les mouvements d’entrées et de sorties d’armes à Eguisheim de 1830 à 1851
5.- 1845-1855 Coup d’arrêt au tir à la cible dans le fossé du rempart sud et création d’une sortie sud porte des Chevaliers( Maiakàfertor puis Poschtàpeckàlà).
Le champ de tir allait du carrefour des marronniers à l’entrée de la rue des vendangeurs. Cet endroit rectiligne était parfaitement adapté à la portée de 150 mètres du fusil 1777 utilisé à l’époque.
Une des composantes de la poudre noire utilisée pour le tir était le salpêtre qu’on produisait localement et qu’on stockait sous surveillance à la salpêtrière (Salpeterhütte) qui se trouvait dans l’actuel hangar de Paul Schwab place Charles De Gaulle.
Le 8 Juillet 1846 un incendie, près de l’Eglise, détruit la maison du boulanger Louis Ambruster ( entre Maison Bertrand Sachs et Hertz Bruno). Eguisheim compte 2200 habitants et n’a que deux portes d’accès à la Ville. C’est une opportunité pour créer une troisième ouverture. La municipalité achète en Février 1847 les ruines de la maison Louis Ambruster pour la somme de 1800 F.
Pour poursuivre l’ouverture sud vers l’actuelle rue des Trois Châteaux (entre la maison Schaffhauser Bruno et le restaurant la Grangelière) la commune acquiert le 7 mai 1855 la grange, l’étable, le fumier et la fosse ainsi que la maison aux sieurs Ysaac Block et Ysaac Schwob pour 4.000F. C’est de cette époque que date la percée de la porte des Chevaliers dite Maiakàfertor (porte des Hannetons) puis Poschtàpeckàlà (petite montée vers la poste) en souvenir du bureau de poste qui se tenait à cet endroit.
Au PV du 26 avril 1846 on apprend que la commune décide de démolir la maisonnette de Tir et de vendre aux enchères les parcelles du fossé extérieur sud puis nord en priorité aux habitants des remparts. C’est ainsi que ces derniers deviendront propriétaires des jardins en arrière de leurs maisons entre 1846 et 1850. L’argent ainsi récolté par la commune sera affecté au grand projet de construction de l’école des garçons “ am Obertor “. ( Place Charles de Gaulle)
Le 5 avril 1847 la suppression de l’emplacement de la maisonnette et du champ de tir à la cible rue du Muscat, (uff d’r Schetzàmur ) devient effective. Dans la séance du 9 avril 1847 les tireurs par pétitions demandent à la commune de leurs construire une nouvelle maisonnette de Tir en remplacement de celle que la commune vient d’aliéner. La municipalité décide de leurs allouer une subvention de 350 F pour le prix du mur et de la maisonnette.
La même année la Salpêtrière est vendue par la commune. Sans poudre ni terrain de tir le glas a sonné pour la compagnie de tir à la cible. Celle-ci est dissoute en 1847 et ne reverra plus jamais le jour.
La commune par contre est à présent en mesure d’améliorer la circulation en réalisant un troisième accès. Cette nouvelle sortie porte des Chevaliers (Maiakaffertor), ouvre le chemin au sud vers le vignoble mais surtout vers la chapelle St Jacques, vers Obermorschwihr et Voeglingshofen.
Voici le plan de finage vers 1840, avec l’endroit en rouge de la chapelle St Jacques.
Travail de mémoire
Léon BAUR Janvier 2022