Le diable, un jour, tomba éperdument amoureux d’une jeune fille blonde et charmante et il voulut l’épouser. Cela se passait il y a longtemps, à Eguisheim en Alsace.
Naturellement, Satan ne pouvait avoir fait connaissance de la demoiselle à l’église en lui offrant l’eau bénite. C’était ailleurs, en quelque sabbat, car elle était tout simplement la fille d’une
sorcière.
— Se marier ! Quelle imprudence ! déclara tout l’enfer d’une seule voix.
En dépit des respectueuses remontrances de sa cour et des fâcheux pronostics de ses amis, Satan fit la demande officielle.
Ce fut un grand mariage. La noce se fit à minuit dans le vieux château abandonné. Il y avait tout le beau monde du sabbat, toute la cour infernale. Et quel festin ! Un gala, préparé par les
cuisines de l’enfer, avec les grandes chaudières, les lèche-frites et les rôtissoires à damnés. Puis, loin des importuns, au fond des vieilles tours qu’il avait somptueusement meublées, Satan
s’oublia dans les délices de la lune de miel et il négligea ses devoirs. Elle était charmante, la fille de la sorcière, sorcière elle-même, mais d’une espèce plus dangereuse. Quel sourire ! quels
yeux, mais aussi quels sourcils autoritaires ! Satan aurait dû se méfier de la sirène. Perpétuellement occupé à jouer de la guitare à ses pieds ou à lui rimer des sonnets, Satan s’affadissait.
Comprend-on un diable langoureux, un joli muguet cornu roucoulant en pâmoison devant sa belle ? La dame eut vite fait de rogner ce qui lui restait de griffes.
Si l’enfer périclitait, le monde aussi se mit à marcher de travers. Tous les désordres en quelques mois. Scandales et abominations en cataractes, tous les crimes débridés, un tas de vilaines
choses. Le terrible gardien de la morale publique, si ponctuel à punir et réprimer, l’antique défenseur et vengeur de la vertu, Satan, fonctionnaire en grève, n’était plus là ! Et les employés de
son administration, les sous-diables et vice-démons, abandonnés, fatigués d’attendre, lâchèrent tout et se précipitèrent à la recherche de nouvelles positions sociales. Ce n’était pas pour
arranger les choses ; tout dégringola de mal en pis comme vous savez, et ces gaillards achevèrent de nous tarabuster l’existence…
Il y a juste quatre cents ans de cela. Satan est toujours dans sa ruine. Sa lune de miel dure-t-elle encore ? Je ne le pense pas, car les passants attardés dans les sentiers prétendent l’entendre
souvent hurler et se disputer, ou même gémir lamentablement au fond des tours d’Eguisheim dont toutes les vieilles pierres frissonnent tandis que la lune roule des yeux effarés.
Merci à Fabrice Mundzik et à l'Amicale des Amateurs de Nids à Poussière pour ce texte.