Au début du 19ème siècle les principales ressources du village reposaient sur l’exploitation de la forêt, des champs , des prés et du vignoble. C’est de ces activités que les habitants tiraient leurs revenus.
On oublie souvent l’importance des prairies qui procuraient le fourrage pour le bétail. En effet les bovins qui passaient l’hiver dans les étables nécessitaient de grandes quantités de foin. La population d’Eguisheim était importante (2200 Habitants) et le nombre de vaches avoisinaient les 800 bêtes.
Le ban d’Eguisheim est traversé sur une longueur de 1,6 km par la rivière de la LAUCH .La vieille Thur(Muhlbach) un affluent de la Thur, qui alimentait à l’époque 12 moulins, marque la limite EST du ban d’Eguisheim.
Les prés de fauche avant 1831 étaient souvent disséminés dans des zones humides naturelles du village (Ring, Reilach, Schindlach, Stiergraben, Froeschengraben, Obere Weidmatten, Katzen Ellenbogen…) Les eaux serpentaient de part et d’autre de la Lauch et de la vieille Thur .
En octobre 1778 de très fortes pluies s’abattent sur la région et causent d’énormes inondations de part et d’autre de la Lauch et notamment à Colmar. Ces montées d’eau de la Lauch constituent encore aujourd’hui la référence pour cette rivière. Suite à cette catastrophe la Province d’Alsace finance le redressement et l’élargissement de la Lauch du Dichele jusqu’à Herrlisheim. Ces travaux s’étendent sur 2000 toises soit 3884 mètres et rendent la Lauch rectiligne et large de 20 toises soit 38 mètres. La ville de Colmar entre 1786 et 1789 fera ériger à ses frais une digue de 12 mètres de large en rive gauche de Herrlisheim jusqu’à L’ILL. La Lauch devient donc rectiligne sur le ban d’Eguisheim entre l’embouchure de la vieille Thur et la Schliess.
Dans le livre de August Scherlen « Dorf und Stadt »( page 91) on apprend qu’Eguisheim fait construire à ses frais en 1810 l’écluse de la SCHLIESS légèrement sur le ban de Herrlisheim pour l’irrigation des prés, avec les pierres de taille provenant de la démolition de trois anciennes portes du village. Par ailleurs dans les archives on apprend que les bateliers de Colmar remontaient souvent la LAUCH et causaient des dommages en encombrant les canaux d’irrigation de piquets de saules. Pour cette raison mais aussi à cause des périodes sèches ou trop humide l’herbe était souvent peu abondante. Le 8 octobre 1819 la commune décide de faire curer le canal de la vieille Thur pour améliorer son écoulement.
L’ordonnance royale du 10 juillet 1822 autorisant la formation d’un syndicat pour gérer l’irrigation des prés ainsi que le plan cadastral napoléonien dressé par le Géomètre d’Eguisheim Pierre Paul Baur en 1828 créent les bases d’une gestion rigoureuse et lucrative des prés du village.
Le Maire François Joseph Bendelé accepte en 1831 la création de la : Société Syndicale de l’Irrigation des Prés dite « Aussenmattenfeld » Jacques BENDELE sera le premier directeur et Antoine BEYER le trésorier.
On nomme un garde champêtre dit « Mattenbangert » qui inclut la fonction d’éclusier. Cette charge est confiée à Conrad GRUSS. Ce dernier à droit de porter une arme de calibre pour la défense de sa personne. Son salaire est à la charge des propriétaires . Cette société est totalement indépendante et séparée de la gestion communale .
Le plan cadastral parcellaire section C dressé le 28 Août 1831 par le Géomètre Pierre Paul BAUR fait mention de 137,13 hectares de prés de part et d’autre de la rivière LAUCH.Par ailleurs le premier livre de caisse de la Société syndicale d’irrigation , tenu par Antoine BEYER , mentionne des recettes de 13.713 Frs pour l’année 1831 soit un prélèvement de 106 Frs par hectare. Ce budget presque aussi important que celui de la commune démontre la valeur inestimable des prés .
Le plan cadastral parcellaire des prés de 1831 est soigneusement conservés dans les archives de la société d’histoire d’Eguisheim.
Ces dispositions prises en 1831 par les acteurs locaux du syndicat de l’irrigation des prés et de l’écluse constituent une ingénierie hydraulique de première importance. La construction d’une écluse et de plusieurs kilomètres de fossés étaient pour l’époque un projet coûteux mais utile.
Les grands propriétaires locaux en 1831 étaient également ceux qui possédaient les plus grandes surfaces de prés. (Heinrich Sébastien 6 Hectares ; Brucker Marx 2,5 Hectares ;Seyler François- Joseph 3 hectares ;Beyer Luc 3 Hectares ; Boll Francois Joseph 2,20 Hectares ;Baur Thomas 2 hectares .
Dans le PV du 6 mars 1831 la société des prés obtient gratuitement de la commune deux poutres en sapin et six chênes pour en faire des madriers pour l’écluse d’Eguisheim.
Le chantier d’irrigation voit le jour en 1831 et permettra de dévier les eaux de la LAUCH vers les fossés nouvellement crées. Un fossé central appelé NEUGRABEN est creusé sur l’actuel chemin allant du Viehweg au Strengen. De même deux fossés latéraux longent l’un la LAUCH et l’autre les champs cotés ouest le long du lieu dit Neulaend. En amont de la Schliess on installe de part et d’autre du cours d’eau deux barrages de dérivations permettant de réguler le déversement des eaux dans les fossés nouvellement creusés. Par ailleurs une maisonnette est construite près de l’écluse pour y entreposer le matériel du garde champêtre.
L’inondation des prairies se faisait au printemps et en automne mais jamais en été période de la fenaison où les sols devaient être secs. L’irrigation de printemps réchauffait le sol et celle d’automne le fertilisait. Les eaux s’écoulaient en pente douce par simple gravité et recouvraient l’ensemble des prés. L’infiltration de l’eau humidifiait et fertilisait les sols et favorisait ainsi la croissance de l’herbe. L’histoire locale nous dit que l’accès aux prés d’Eguisheim était strictement interdit dès l’automne et jusqu’à la fenaison pour éviter le piétinement voir le braconnage. Le garde champêtre veillait au grain et verbalisait tout contrevenant.
Dans le PV du 10 mai 1839 on apprend que le nombre de vaches a considérablement augmenté dans le village (700 à 800 vaches) La saillie naturelle avec un seul taureau devenait impossible. La commune décide d’allouer le lieu dit KUHWEID à une fermier qui y entretiendrait deux taureaux vigoureux et de bonne race de couleur noir et blanche ou rouge et blanche pour saillir les vaches du village. Le prix de la saillie est fixé à 1,50 Frs .
Peu de communes pouvaient se prévaloir de posséder 137 hectares de prés, si bien irrigués par gravité et capable de nourrir autant de bovins et autres animaux de basse cour.
La Lauch rendait aussi d’autres services au gens. Madame Berthe Hubschwerlin née en 1903 dans une interview qu’elle nous donnait dans le bulletin municipal en 2000 se souvenait des grandes lessives dans les eaux du canal de la Lauch. Les femmes partaient à cheval avec d’énormes tombereaux de linge. C’étaient les lavandières des rives de la Lauch. L’ambiance était formidable et l’eau très propre disait-elle.
Une autre activité consistait en hiver à la découpe de blocs de glace dans les eaux de la Thur, de la Lauch ou directement sur les prés pour les brasseurs et aubergistes .Certains brasseurs de Colmar possédaient les caves du Buhl très profondes et fraiches pour y stocker de la glace. Celui qui voulait vendre de la bière en été devait fournir la glace. Cette occupation procurait un substantiel revenu aux propriétaires des prés d’Eguisheim.
En 1855 on apprend que la pêche était concédée par adjudication communale à des pécheurs professionnels qui souvent refusaient de régler leurs dus quand les cours d’eau étaient encombrés de roseaux et de joncs.
Pars ailleurs la Lauch était la piscine locale en été pour les habitants d’Eguisheim. Jeunes et moins jeunes aimaient se retrouver autour de la Schliess ou du pont d’Eguisheim . On se souvient de ces « Ransaklatscher » auxquels se prêtaient, du haut de l’écluse les plus courageux, brisant pour un instant le silence des lieux. Ce lieu joyeux et insouciant a vu cependant un jour deux adolescents d’Eguisheim périr noyés dans la Lauch. Une stèle fut érigée en leur souvenir et se trouvait encore devant la maison de l’éclusier dans les années1970.On pouvait y lire :ici se sont noyés Victor HORBER 15 ans et Jean Baptiste BAFFREY 17 ans le 1er Août 1864 .
De 1831 à 1960 rien n’a grandement changé autour de la Lauch.
C’est le remembrement des terres et des prés entre 1958 et 1962 qui marque une nouvelle étape. Les petites parcelles sont brusquement regroupées en grandes surfaces d’un seul tenant offrant aux propriétaires une meilleure rentabilité. Le tracteur remplace progressivement le cheval ce qui améliore la productivité. Le développement de la viticulture dans les années 1970 au détriment de l’élevage portera le coup fatal à nos prés de plaines qui se reconvertiront peu à peu en champs de blé puis de maïs car ces terres sont excellentes et très fertiles.
Les derniers gardes champêtres « Mattabangert » d’Eguisheim étaient Camille GEORGER, Charles ROUBY et Eugène ZECH
Aujourd’hui l’écluse de la SCHLIESS avec sa belle passerelle permettant de traverser la Lauch et ses deux petits barrages de dérivations en amont sont toujours en place. La maisonnette a été détruite dans les années 1980.Dans les fossés latéraux subsistent encore 4 petites barrières métalliques de régulation des eaux d’irrigation.
Ces ouvrages anciens de presque 200 ans, fortement endommagés, méritent un regard et une attention mais nécessitent une restauration. Envisager une remise en valeur de ce patrimoine hydraulique est un beau défit.
L’endroit est un formidable poumon vert où se croisent promeneurs, joggeurs et cyclistes.
Par ailleurs un panneau explicatif permettrait de comprendre le fonctionnement du système d’irrigation et l’importance des prés pour nos villes et villages à cette époque.
Ce projet replacerait cet ancien réseau dans son cadre et nous faire voyager dans le temps entre la LAUCH et la vieille THUR.
Décembre 2020 Léon BAUR