VIDEO. Le réchauffement climatique va bouleverser la production viticole lors des 30 prochaines années. Si les températures continuent de grimper, on ne produira plus de Riesling en Alsace, mais des vins de Languedoc. Pas de panique cependant, l’Inra de Colmar développe des cépages capables de résister aux chaleurs et aux maladies qui en découlent. Reportage à Eguisheim, chez les Freudenreich.
Faites quelque chose, les vignes ont chaud ! D’ici 2050, la surface des terres propices à la culture de la vigne en Europe pourraient être réduites de 68%, selon les conclusions d’une étude de l’organisation non gouvernementale Conservation national aux Etats-Unis. Même si l’émission de gaz à effet de serre restait modérée et maîtrisée, le réchauffement climatique redessinera, quoi qu’il arrive, la carte des vins au niveau mondial. Peut être même que dans plusieurs décennies, sur votre table, le feu Bordeaux aura été remplacé par un grand cru scandinave. Et si le scénario prévu par les scientifiques se réalise, quel sera l’avenir de nos vins d’Alsace ?
Pas de panique chez les vignerons alsaciens
Dans l’immédiat, les viticulteurs alsaciens sont les derniers à verser une larme face au soleil. La hausse des températures constatée ces deux dernières décennies bonifie le vin. Depuis les années 90, les vendanges précoces assurent une meilleure récolte. Les temps humides d’octobre sont évités, il y a donc moins de pourriture dans les vignes, réduisant les pertes. En Alsace, les fortes chaleurs ont permis à la vigne d’atteindre une bonne maturité. La présence du soleil rend le raisin plus sucré, améliorant la qualité du vin. Une année chaude est souvent associée à un grand millésime. 2013 déroge à la règle, selon Eric Meistermann chercheur au sein de l’Institut français de la vigne et du vin à Colmar :
« Cette année est une exception, comme il y a 20 ans, la date de fleuraison retardée a décalé les vendanges au mois d’octobre. Les vins 2013 ressembleront à un millésime de 1983. »
Mais le cocktail chaleur et sécheresse favorise aussi les insectes de vignobles, porteurs de maladies. La flavescence dorée, par exemple, est une affection à l’origine de pertes importantes dans les régions viticoles du sud de la France. Une maladie remontée jusqu’en Bourgogne aujourd’hui. Sorte de jaunisse de la vigne, la bactérie est transportée par la cicadelle. Elle peut aussi être transmise par l’enracinement de plants malades. Selon Éric Meistermann, l’Alsace n’est pas à l’abri :
« Avec le réchauffement climatique, on voit apparaître ces nouvelles maladies. L’Alsace en est encore indemne, mais avec de fortes chaleurs, la flavescence dorée pourra un jour arriver dans notre région. »
Il faut se projeter en 2060, pour commencer à craindre un bouleversement de la carte des vins. Selon Éric Duchêne, ingénieur à l’Institut National de la Recherche Agronomique (Inra) de Colmar, en 2030 le climat Alsacien sera équivalent à celui de Lyon à l’heure actuelle et en 2060, Strasbourg aura le climat de Montpellier… Selon le chercheur, l’été caniculaire de 2003 est à prendre comme un exemple pour se projeter en 2060 :
« Le goût des cépages tend a être plus alcoolisé et moins acide, c’est une certitude ce sera la tendance des prochaines décennies à cause du réchauffement climatique. »
Du coup, les régions du nord de l’Europe développeront de nouveaux vins. Des pays comme le Danemark ou le sud de l’Angleterre par exemple sont déjà en train d’en produire. Contrairement aux vignobles bordelais ou ceux du Languedoc-Roussillon, les vins alsaciens ont encore de beaux jours devant eux, protégés par un climat septentrional.
Récolte nocture, ou sur les montagnes ?
Afin de contrer un tel bouleversement, les techniques culturales devront s’adapter au fil du temps. Des viticulteurs pensent déjà à récolter leur raisin de nuit pour plus de fraîcheur. À long terme, il est possible d’adapter les cépages. A l’Inra de Colmar, des programmes sont en cours avec comme objectif de trouver de nouveaux cépages plus résistant aux maladies, plus résistants à la chaleur. Eric Duchêne travaille sur ce projet :
« Nous avons un programme de création de variétés résistantes aux maladies fongiques. Pour le moment, l’idée n’est pas de trouver un cépage qui ressemblerait à du Riesling ou à un autre vin, mais de trouver des croisements de cépages blanc ou rouge qui améliorerait leur résistance. »
L’objectif premier de ces croisements reste de réduire l’utilisation de pesticides. Les cépages issus de cette recherche sortiront des pans entre 2020 et 2025. Une autre possibilité serait de déplacer certains vignobles exposés à la chaleur sur des parcelles situées en altitude. Le Grenache en Haute-Savoie, les pieds de Gewurztraminer sur les hauteurs vosgiennes…
DE JEAN-LUC À JULIEN FREUDENREICH
Loin de la canicule de 2003, cette année les vendanges se sont déroulés sous un ciel nuageux avec une température qui peinait à atteindre les 10 degrés le matin. Cependant, les quelques averses n’ont rien enlevées à la bonne ambiance des 7 jours de récoltes traditionnelles, sur le domaine Freudenreich à Eguisheim, au contraire. Le sécateur dans une main, le seau dans l’autre, ils étaient 13 vendangeurs à couper les grappes. Pendant les 8h de travail quotidien, Armand et Pascal se chargeaient des blagues cocasses, pendant que Brigitte et Babeth poussaient la chansonnette. Il n’y a pas de secret, en rigolant la fraîcheur des vignes se ressent moins sur le bout des doigts. La famille Freudenreich est propriétaire du domaine depuis 1653, aujourd’hui c’est Jean-Luc Freudenreich qui est à la tête de l’exploitation étendue sur 6 hectares.
Depuis juin dernier, son fils aîné est venu bouleverser les habitudes en faisant ses premiers pas de jeune patron sur le domaine. Désormais, ils travailleront main dans la main, avec bien évidemment une transmission de savoir du père vers le fils. A 21 ans, Julien Arthur Freudenreich reste à l’écoute de la moindre consigne, le regard impénétrable. Il n’hésitera pas tout au long de son apprentissage à donner son avis. Avec une vue sur 3 générations, les pratiques culturales ont bien évidemment évoluées, le vin du domaine Pierre Freudenreich et fils aussi et ce n’est pas seulement dû au réchauffement climatique…