C’était fatal ! « Ces cinq jours de canicules ne pouvaient s’achever autrement que par une catastrophe », titraient les journaux. L’orage du dimanche 12 juin à 1 heure du matin se termine en enfer et ceux qui l’ont vécu se souviendront. Clin d’œil de l’histoire, Eguisheim devient lauréat de l’émission « Chefs-d’œuvres en péril » ce même dimanche 12 Juin 1966.
Rappelons tout d’abord qu’il y a eu deux orages : l’un à 1 heure du matin dimanche 12 Juin, d’une durée de 1 heure et l’autre d’une demi-heure, moins ravageur, dans la nuit du lundi 13 juin. La pluie s’est abattue sur les bans d’ Eguisheim, Husseren Les Châteaux et Wettolsheim en formant des torrents de boues et de gravats. Par les versants sud et nord d’Eguisheim l’eau s’engouffre dans la cité en emportant tout sur son passage. Au nord le ruisseau du Bechtal rejoint les eaux de la Wasserfall pour regonfler d’intensité au lieu dit Killmatt. Toutes ces eaux entrent par le Dichelgraben dans la ville entre la forge Theiller Alfred et les habitations Koch André et Gsell Gérard et Joseph rue des Trois Châteaux.
Photo du « Dichelgraben » (petit ruisseau prêt du parc à cigognes)
C’est à cet endroit que les maisons ont été les premières à subir l’assaut des eaux, enfonçant les portes qu’elles fussent de bois ou de fer, traversant les maisons de part en part. L’eau sur une hauteur de 1,50 mètre, entrait par les maisons ou les dépendances et ressortait par la cuisine ou la salle à manger.
Ce premier secteur sinistré regroupait les habitations de Koch André, Gsell Gérard et Joseph, Gsell-Lehmann Marie Jo, Schaffhauser Sylvère, Theiller Alfred, Meyer Ernest, Horber René et Baur Xavier.
Dans la forge de Theiller Alfred un mur s’écrasa sur un tracteur en réparation et le brisa en deux.
Le train avant du tracteur fut soulevé par les flots et déposé dans l’ancien fossé sec de la ville.
Dans le même quartier, les flots emportèrent la 4CV de Gsell-Lehmann Marie Jo.
La voiture fut projetée contre leur Wc extérieur.
Sauvetage musclé de la 4CV de Gsell Marie Jo par les habitants de la rue des Trois Châteaux .On reconnait tout à droite Alphonse Humbrecht ancien Cantonnier d’Eguisheim et tout à droite soulevant la voiture Gérard et Antoine Gsell.
Les eaux boueuses chargées de gravats et de végétaux du vignoble et de la forêt gonflèrent soudain de volume en emportant tout sur leur passage. Portes, tonneaux bouteilles vides ou pleines, cuves , alambic, cerclages, vélos et mobylettes, bouteilles de gaz de la forge Theiller, outils et matériaux nageaient dans les eaux, mais aussi des animaux poules et lapins surpris dans leurs clapiers et poulaillers. Dans certaines maisons, on a monté les cochons à l’étage pour échapper à la noyade. Certains animaux avaient de l’eau jusqu’aux oreilles. Chez Ernest Meyer, l’eau est même montée jusqu’à 3 mètres dans la cour et dans sa cave alors que la moyenne sera de 1,50 mètre par ailleurs.
A la sortie de ce goulot d’étranglement les eaux descendent la rue des Trois Châteaux vers la place de l’école des garçons. Le restaurant et l’épicerie de Baur Léonie et Maria sont littéralement envahis par les eaux et leurs marchandises anéanties. Le tailleur Kloepffer Alfred voit la porte de son atelier fracturée et une machine à coudre et plusieurs habits qu’il confectionnait pour les habitants d’Eguisheim emportés par les eaux.
Place Charles De Gaulle (A droite restaurant et Epicerie Maria et Léonie Baur (aujourd’hui Ville de Nancy);le tonneau de 11 Hectolitres provient de la cave de Lehmann Roland et Marie Jo
Ces eaux rugissantes sont rejointes par celles descendant de la rue Porte Haute. Une petite partie suit son cours normal par le fossé en direction du Diddelberg ou un peu plus bas par l’Allmend nord. Le gros du volume d’eau poursuit sa folle descente dans le village par la rue Principale redoublant de hauteur, de fureur et de danger.
Les soupiraux des caves souvent à hauteur de la route ne tiennent pas longtemps. L’eau s’engouffre dans les caves, soulève les tonneaux qui se renversent et déversent leurs contenus. Certains plafonds se soulèvent, écrasés par la poussée des foudres.
La cave frigorifique de la boucherie Edel Adrien est transformée en baignoire. Les viandes et saucisses sont vouées à la déchetterie.
Chez Paul Schneider, rue de l’Hôpital, l’eau boueuse entre par la cour mais aussi par les Allmends nord. Dans la cave la plupart des tonneaux sont soulevés. Paul Schneider en plein nettoyage sur cette photo sera un des grands sinistrés de ce 12 Juin 1966.
La rivière en furie chargée de nombreux matériaux vient se fracasser contre le grand mur du presbytère qui sépare les eaux en deux. Une partie poursuit son cours vers le bas du village pour s’extraire par le Rempart Nord ou plus loin par le sentier des poules. Mais la porte de sortie la plus directe était par la place Unterlinden avant de rejoindre la rue des Fleurs qui n’était alors que des jardins appelés « Mühlengarten ».
C’est donc autour du Presbytère et plus particulièrement dans les caves et cours Joseph Freudenreich et Luc Beyer que les dégâts furent extrêmes. L’eau montait dans ces deux cours à plus de 1,50m pour se déverser partout, mais surtout dans les caves où d’importantes pertes de vins, de machines, de matières sèches, de céréales, de matériels sont à déplorer. Ces deux exploitations connurent un drame sans précédent d’autant que c’est là et sur la place Unterlinden que s’accumule les gros des objets, boues et machines emportés par les eaux, bouteilles de Butagaz provenant de la forge Theiller, végétaux et tronc d’arbres. Il y avait là comme une cuvette de rétention pour tous ces matériaux chavirés par les eaux.
En descendant le long du Mühlengarten, les jardins familiaux furent tous submergés par les eaux limoneuses. Fort heureusement il n’y avait là pas encore d’habitations ni de route. L’eau traversa la Départementale, longea le cimetière pour se jeter dans le ruisseau du Malsbach. Sur cette route, un car de tourisme fut même poussé dans le ravin et resta plus de deux heures en attente d’être dépanné.
En ce dimanche de la fête Dieu la messe et la procession furent annulées par le curé René Ebel. Tous les villageois s’entraidaient à vider les caves, à nettoyer tant soit peu les rues du village et leurs maisons avec l’aide des renforts de pompiers et entreprises extérieures venues de toute la région au secours des sinistrés. Plus de 40 pompes furent mises en service et le Préfet mit en route le plan Orsec qui dans la semaine permettra de venir optimiser les secours.
Devant le presbytère les pompiers s’affairent et les badauds viennent en nombre constater les dégâts dès le dimanche matin.
Mais comble de malheur, un nouvel orage s’abat lundi soir, le 13 juin, sur la commune. La durée fut plus courte environ 30 minutes et la montée des eaux moindre (environs 40 centimètres) causant à nouveau inondations et frayeurs. Heureusement que quelques 1000 sacs de sables avaient été livrés dès le lundi matin, ce qui permettait de bloquer un peu les hauteurs d’eau devant les entrées des propriétés. On se rendit vite compte que toutes les canalisations d’eaux usées étaient bouchées par la boue et qu’il fallait accélérer le débouchage pour permettre l’évacuation. C’était, avec le pompage des caves, la première priorité du plan Orsec.
Le grand coup de Trafalgar fut l’inondation de 1966 qui déclencha le plan Orsec. Une pluie diluvienne a transformé le petit ruisseau du Dichelgraben (vers l’actuel parc à Cigognes) en une immense retenue d’eau. Dans la nuit l’eau s’est engouffrée dans le village avec une violence inouïe. Les voitures furent retournées. Les caves gorgées d’eau faisaient flotter les tonneaux vides, qui eux-mêmes défonçaient les planchers. Dans les vignes, on a pu constater que l’eau avait coulé jusqu’à la hauteur du premier fil de fer. Suite à cette catastrophe, nous avons donc creusé le bassin d’orage.
L’orage du 12 Juin 1966 est certainement, après les tourments de la guerre, la plus grande catastrophe que le village ait connu au 20ème siècle. La veille de la Fête Dieu, un nuage de pluie s’est déversé sur le vignoble et la forêt d’Eguisheim. Un énorme torrent s’est formé, dévalant la montagne, arrachant tout sur son passage. C’était une rivière en furie chargée de terres, de pierres et d’arbres qui entra dans la ville par le Dichelgraben et qui s’engouffra dans les maisons de Koch André, Gsell Gérard, la forge deTHEILLER Alfred, Schaffauser Silvère et Meyer Ernest. Comme notre portail était fermé l’eau monta très rapidement pour inonder complètement notre cave sur une hauteur de trois mètres jusqu’au plafond. La veille, nous avions mis du vin en bouteilles et comme tout se retrouvait sens dessus dessous, nous étions obligés de brader notre vin en Edelzwicker. Ma 2CV était détruite. Nos tonneaux défoncés et mon alambic emporté par les eaux. Je l’ai retrouvé le lendemain sur la place Unterlinden en piteux état ! La boue était partout et les mauvaises odeurs tenaces De longs mois furent nécessaires pour effacer la cicatrice.
Indication de la hauteur des eaux de 3 mètres au dessus du porche de la cave de Meyer Ernest (photo de droite)
L’orage du dimanche matin 12 Juin 1966 vers 1 heure fut comparable à celui du 14 Juillet 1866, 100 ans auparavant ! L’eau descendait par la rue de la Porte Haute et le fossé de la Kirchmatt en formant deux torrents boueux amenant de grosses pierres depuis le Bechtal et emportant tout sur son passage vers le village. Quelques 150 caves furent inondées. Au lever du soleil, on trouvait des rues impraticables, jonchées de pierrailles, de gros galets et de pièces hétéroclites provenant des cours et des hangars écurés. Dans le vignoble, à l’ouest du village certaines parcelles présentaient une image de dévastation. Des murailles centenaires avaient été démolies par la vague tumultueuse semblable à celle provenant d’un barrage ayant brusquement cédé. Le grondement de ces masses d’eau roulant des galets à travers le village reste dans la mémoire de ceux qui l’ont entendu. On a trouvé des cuves et des tonneaux jusqu’à la tuilerie Sturm. Les tonneaux vides dans les caves poussaient dangereusement les solives du plafond soulevant le plancher en bois du rez-de-chaussée. Les moteurs des voitures inondées ne pouvaient plus tourner. Des portes furent enfoncées, les plus contreventées résistèrent. Dans la partie haute du village, l’eau atteignit un niveau de 1,50 m bien visible le matin par l’empreinte limoneuse laissée sur les façades et portes. Des voitures garées dans des cours furent entraînées par les flots après que la porte eut cédé. Ce fut une vision d’apocalypse. Les dégâts sont estimés par les journaux à 10 millions de Francs.
Meyer Remy, les pieds dans la boue, montre ici le repère de l’inondation sur la façade de la maison Horber René rue des Trois Châteaux.
La veille de ce 12 Juin, nous nous promenions dans le vignoble qui commençait à fleurir en embaumant doucement l’atmosphère.
Nous ne pouvions pas nous douter que le lendemain soir nous aurions à vivre un cauchemar terrible et effrayant. C’était la veille de la Fête-Dieu, il avait fait chaud dans la journée. Tous les voisins s’étaient activés dans la cour pour préparer et confectionner les bouquets et toute la décoration florale pour l’autel disposé sur la fontaine St Léon et le tapis prévu en pétales de fleurs.
Tante Adèle Beyer et Madame Schaffhauser donnaient les bons conseils aux exécutants dont Thérèse Zech-Klenklen, Alphonsine et Mlle Anny Hausherr. Le soir venu, toutes bavardaient encore avant de rentrer.
Peu après minuit un orage éclate subitement mais le vent le chasse vers Colmar, puis le ramène à nouveau vers Eguisheim. Plusieurs orages s’étaient mis en tourbillon le long des coteaux.
Tout à coup au milieu des éclairs et du tonnerre, un nuage a éclaté, et s’est déversé sur le vignoble. Un torrent s’est alors formé rapidement, dévalant la montagne, arrachant tout sur son passage, emportant la bonne terre et de grosses pierres. La rue devant notre maison était devenue une rivière en furie. Le bruit de l’eau était aussi fort et étourdissant qu’une cascade dans les Alpes !
En haut du village s’est formé un barrage de branches arrachées. Puis tout a cédé et l’eau dévalait la pente. Elle s’est engouffrée dans notre cour et celle de Freudenreich Joseph Cour Unterlinden. A l’entrée du presbytère, le sable s’est déposé en masse.
Notre cave se remplissait et le niveau montait à vue d’œil. La cour était envahie jusqu’à la margelle du puits (1,50m).Un chat est parti à la nage. Tous les appareils, machines, tracteurs étaient noyés, des objets surnageaient. Tout à coup un bruit sourd. Des tonneaux remplis de vins ont été bousculés vers le plafond, par une pression inouïe. Un fût de Gewurztraminer grande réserve vendangé en novembre 1965 s’est vidé (3700 Litres). Une écume blanche et odorante filait dans la cour !
J’ai téléphoné à mon père et mon frère, qui sont rapidement arrivés le matin apportant leur aide et leur soutien.
Un pompier constate les dégâts et la boue dans la cour de Luc et Madeleine Beyer dimanche matin le 12 Juin.
Le lendemain matin le village avait triste allure, défiguré, souillé. Monsieur le curé Ebel en pyjama et dans 30 cm de boue nous dit : Il n’y aura pas de messe aujourd’hui !
Les pompiers alertés sont venus de 17 communes à la rescousse. Il fallait pomper l’eau des caves ( 150 caves) toutes inondées. Wettolsheim aussi avait été touché par ce cataclysme. Nos fleurs et arrangements flottaient partout, emballages, cartons et autres objets partaient à la dérive. Ce fut un spectacle hallucinant. Même une voiture 4CV était emporté et bloquée dans un arbre. Des cochons dans les porcheries, des poulets noyés, des oignons et carottes traînaient dans la boue. Les jardins ont été fortement endommagés.
Je revois encore Luc, trempé, fatigué et tremblant d’épouvante.
Beaucoup de moteurs de voitures noyés ainsi chez nos voisins Henri et Edouard Schneider.
Les jours suivants, il a fait très beau, puis une période de pluie est arrivée. Nous avons mis un temps infini à nettoyer et ranger, la boue allait partout et son odeur aussi était tenace ! Certains objets étaient malheureusement perdus.
Pour nous qui avions prévu une mise en bouteille c’était fini : beaucoup de vin perdu et le matériel inutilisable.
Cela faisait 6 mois que j’étais à Eguisheim. Notre voisin Gérard Rubet qui venait d’acheter la maison Keck et son épouse Laurette m’ont demandé si cela arrivait souvent ? Impossible de traverser le courant était si fort. La dernière catastrophe avait eu lieu en 1866 ! Cela nous rassurait un peu !
Aucun répit, il fallait payer certains frais et la Msa n’a pas autorisé de report ! La vente était bloquée pour plusieurs semaines et la vigne devait avoir rapidement des soins et traitements. LUC, Jean Servo et toute l’équipe avaient de quoi faire !
Par la suite la commune a eu des subventions et des indemnités qui ont servi à mettre en place le bassin d’orages et à revoir les chemins vicinaux si endommagés.
Ironie du sort : pour les assurances, cette calamité n’était pas bien reconnue. Ils nous expliquèrent que le vent n’avait pas atteint les limites exigées pour avoir droit à un dédommagement !
Ce fut pourtant une catastrophe naturelle de très grande ampleur, que nul n’a oublié après un demi siècle !
J’avais 14 ans et mon frère Jean Louis 17 ans. Ces deux nuits du 11 et 12 Juin 1966 ne s’oublient pas ! Ma mère avait toujours peur des orages, surtout la nuit et elle éteignait à temps les lumières tout en allumant les chandeliers pour nous éclairer. L’heure était à la prière, d’autant que les éclairs et le tonnerre annonçaient des pluies violentes. Nous étions rassemblés au salon dans l’attente d’une accalmie. Mon père était en alerte avec l’ensemble du Corps des Sapeurs Pompiers dans le village. Très vite, il devenait dangereux de sortir, l’eau atteignant 50 cm de hauteur et descendait sur toute la largeur de la rue principale, emportant tout sur son passage pour s’infiltrer dans les fossés (actuellement rue du Rempart nord). Nos caves sont rapidement inondées et la boue et les détritus se déposent partout. Chez notre voisin, Henri Grob la marque de l’eau restait visible en façade durant des années sur une hauteur de 50 cm.
Je me souviens, vers la fin de l’orage, être monté dans la rue Principale, bottes aux pieds et contre le courant, pour voir l’étendue des dégâts. C’était risqué car la force de l’eau qui chavirait encore tout sur son passage aurait pu m’emporter. Personne ne pouvait lutter contre cette rivière en furie ! Sur la place St Léon les eaux se séparaient .Une partie descendait la rue principale l’autre s’engouffrait place Unterlinden pour ressortir au Dittelberg. La place Unterlinden faisait barrage et cône de déjection où les branches, troncs, outils et matériaux arrachés ça et là se retrouvaient piégés. Les eaux boueuses poursuivaient l’écoulement vers l’abattoir de Edel Adrien puis les jardins du Mühlengraben (rue de Fleurs aujourd’hui). Tous ces jardins furent inondés et donc fortement endommagés.
La commune reçut dès dimanche matin un certain nombre de sacs de sable pour faire barrage devant les maisons et les rues. Je vois encore ces barricades devant l’entrée de la rue des Fossés. Certaines personnes mal intentionnées venaient en pleine nuit les enlever pour mieux protéger leurs habitations. Après quelques jours d’attente, notre cave fut enfin pompée et le long travail de nettoyage pouvait commencer. Il fallait en effet remonter de la cave toutes les bouteilles de vins empilées pour éliminer la boue puis bien nettoyer le sol puis redescendre les bouteilles propres en cave. Toute la famille oncles et tantes, petits et grands aidèrent à cette pénible tâche pour soulager nos parents.
Dès 4 heures du matin le dimanche 12 juin 1966, Léon Beyer, Maire, installe le PC au caveau d’Eguisheim et pilote les opérations. À 4H30 du matin, on enregistre la mise en action de 23 pompes provenant de nombreuses communes et entreprises du secteur dont voici le détail :
Les pompiers de Colmar, Ensisheim,Wintzenheim,Türckheim et Rouffach sont rapidement sur place avec neuf pompes. Les services de la ville de Colmar, et les entreprises Gamberini, Splse, Brun et Bastien mettent quand à eux quatorze pompes en action.
L’étaiement de la maison Curto dans les remparts, qui menace de s’écrouler, est pris en charge par une équipe des Mines de Potasse d’Alsace.
Rapidement la société Pipe-Line de Neuilly sur Seine viendra prêter main forte avec de grands moyens, ainsi que la société Sanicas avec ses camions vidangeurs. On note aussi la mise à dispositions de pompes des entreprises Schubnel, Piatti, Torressani , Mader et Boni.
De droite à gauche Léon Beyer, Maire d’Eguisheim, M.WETZEL Directeur de Cabinet de la Préfecture et le Préfet Maurice Picard en inspection dimanche matin rue des Trois Châteaux.
Le Ministre alsacien André Bord est aussitôt mis au courant de la catastrophe et sollicité pour déclencher tout l’appui de l’état et notamment le plan Orsec. Celui-ci est déclenché dès le dimanche 12 juin au matin.
L’appariteur Alphonse Stoffel passe dans le village pour annoncer aux habitants de ne pas utiliser l’eau sans la faire bouillir car le réseau d’eau potable local était impropre à la consommation jusqu’à nouvel ordre .
La Mairie commande pour livraison le dimanche même 900 sacs de sable à l’entreprise Auguste Zwickert de Colmar au prix de 1,98 Ff le sac. Ces sacs seront très utiles pour contrer l’orage du lundi 13 Juin et éviter ainsi de nouvelles inondations.
Le 15 Juin 1966 Eguisheim et Wettolsheim sont déclarés « Zones Sinistrées. » Cela permettra d’accéder plus facilement aux aides de l’Etat et au déclenchement des remboursements d’assurances.
Entretemps, c’est une population tout entière qui se retrousse les manches et enfile les bottes pour déblayer, nettoyer les rues, les cours et les habitations. Mais le plus long travail consiste à passer au peigne fin les 150 caves inondées.
Après le pompage des eaux, il reste de fortes hauteurs de boues retenues sous les piles ou les palettes de bouteilles, sous les tonneaux et les machines. Ce travail s’effectue manuellement car à il n’y avait ni ascenseur ni élévateur dans les exploitations. Voisins, parents, enfants,… tout le monde est sollicité pour ce grand nettoyage qui dura de nombreux jours.
Pour bien évaluer les dégâts la commune demande à chaque habitant sinistré de faire une déclaration précise des pertes occasionnées. Cette liste officielle, conservée en Mairie, contient 108 déclarations.
Voici pour chaque rue d’Eguisheim le nombre de propriétaires ayant fait une déclaration :
Rue principale: 52 propriétaires
Rue Unterlinden 1 propriétaire
Rue du Dittelberg 2 propriétaires
Rue des Fossés 37 propriétaires
Rue Quibourg 3 propriétaires
Rue de l’Eglise 5 propriétaires
Rue de Colmar 8 propriétaires
Au vue de ces déclarations voici les 12 familles les plus touchées ayant subies des dommages estimées entre 5.000 Ff et 10.000 Ff :
Luc Beyer, Joseph Freudenreich, Paul Schneider, Ernest Meyer , Joseph Vonthron, Alfred Theiller forgeron, René Horber, Xavier Baur, André Koch ,Gérard Gsell, Joseph Gsell, Epicerie et Restaurant Ville de Nancy Léonie et Maria Baur.
Mais les pertes sont importantes tout au long du parcours des eaux, autant dans les caves inondées que autour des habitations. A l’époque beaucoup d’habitants stockaient leur bois, matériaux et engins divers devant leurs maisons, n’ayant pas assez de place à l’intérieur. Juin est de plus le mois de reprise des grands travaux dans les champs et les vignes de sorte que le matériel était stocké à l’extérieur des habitations pour ces travaux. La polyculture était encore importante et les granges étaient remplies de foins et de paille. La ferme était le quotidien de beaucoup de villageois et les remparts et allmends étaient la basse-cour pour leurs animaux. On trouve des clôtures arrachées, des poulaillers et des clapiers ravagés. Les plus grands dégâts sont enregistrés chez les vignerons suite à des tonneaux renversés, des bouteilles fracassées, des outils détruits. La forge Theiller Alfred et le Restaurant-Epicier Baur, à la ville de Nancy, étaient deux exploitations particulièrement touchées. Les journaux parlaient de 150 caves inondées.
Évacuation des boues et tri de déchets rue des Trois Châteaux. Photo de gauche Wissler Paul et Liechty Léon déversant la boue dans la remorque.
Malheureusement il n’y aura aucune aide pour les dégâts de ravinement ou les submergements des terrains par la boue. Peu de gens avait une assurance contre la grêle dans le vignoble. Les dons en liquide venaient cependant de toutes parts : Mulhouse, La Bresse, St Louis, Colmar, Hautvillers, Guebwiller etc.… Par ailleurs le Crédit Agricole met en place des prêts spéciaux.Le dossier de déclaration en zone sinistrée d’Eguisheim et Wettolsheim est accepté le 15 Juin 1966 notamment grâce au Ministre Secrétaire d’Etat alsacien André Bord et au préfet Maurice Picard. Le dossier portera sur les dégâts de grêle entre 20 et 40% selon les endroits, les caves inondées , la voirie et les égouts endommagés ainsi que les conduites d’adduction d’eau fortement polluées.
Chez Beyer Luc, ce sont 3200 Litres de Gewurztraminer et 800 litres de Zwicker perdus dans les eaux.3 Pompes à vins noyés. Capsuleuse , étiqueteuse et machine à laver les bouteilles détériorées. Tout le système électrique est à revoir. Dans la cour il avait 1,50mètres d’eau et la cave est inondée. Les planchers menacent de se briser car les tonneaux surnagent et poussent les plafonds à se briser.
Chez Meyer Ernest, perte de 450 litres de Sylvaner, 200 litres de Gewurztraminer et 275 Bouteilles de Muscat. Disparition de 1000 plants de vignes greffés, de 4000 bouteilles vides, 2000 bouchons,8000 étiquettes et 5000 capsules. 300 litres d’eau de vie de Quetsche volatilisés ainsi que l’alambic emporté par les eaux et retrouvé le lendemain cour Unterlinden. Et le décompte n’est pas fini car il manque 3 cuves à raisins, un tonneau et une hotte à vendange !
Rue des Trois Châteaux. « Uff’m Bach » Les secours s’organisent et l’entraide est de mise.
Chez Schneider Paul, 5000 capsules perdus, une voiture Peugeot 404 sinistrée, un tracteur Porsche et une mobylette endommagés ainsi que de nombreux tonneaux renversés et 7 moteurs électriques hors d’usage. Paul racontait souvent avoir monté à l’étage dans sabaignoire trois petits porcelets pour éviter d’être engloutis par les eaux.
Pompage de la cave du boulanger /restaurateur Albin Meyer (actuellement Cmdp) .Sur l’escalier Jenny Henri et ses deux enfants Etienne et Céline ainsi que Ambruster Albert. Au fond le tracteur Porsche dans la cour de Schneider Paul.
Chez Horber René, l’eau est entrée dans la maison et a abîmé la cuisinière et le buffet. Dans le couloir il y avait 80 cm d’eau. Le plancher a lâché suite à la poussée d’un tonneau dans la cave. Dans la chambre à coucher, l’eau atteignit 25cm et a tout abîmé (lit,armoires et tapisserie). Dans le garage, il y avait 1,20m d’eau qui a endommagé la 2 CV, le solex et les moteurs électriques. 12 Lapins ont été noyés. 850 bouteilles vides ont disparu. 350 bouteilles de Gewurztraminer et 150 bouteilles de Zwicker ont disparu. 2 portes et une fenêtre de la cave ont été brisées. Les dégâts sont impressionnants.
Devant la maison de Horber René (accès parking Trois Châteaux), un véritable déversoir de boue et de gravats et de matériaux de tout genre.
Chez Koch André, 2 portes de garage éventrées. 150 litres de vins, 10 poules et 7 lapins emportés par les eaux. Plusieurs tonneaux emportés par le courant ont fini leur course folle rue de Colmar où Paul Stumpf les a récupérés et rendus à son propriétaire.
Chez Lehmann Roland et Marie Jo, la4CV (photo page 4) est inutilisable ainsi qu’un motoculteur. 250 litres de vins sont perdus ainsi que le tonneau de 1100 litres (photo page 5). L’ancien pressoir en bois est fracassé contre le plafond du cellier et endommagé.
Chez Schaffauser Sylvère, 1 solex, 2 bicyclettes et une voiture hors d’usage. La salle de bain est inondée.
A la Boulangerie Marx, cave inondée détruisant un stock de 1000 œufs ainsi que des produits d’épicerie (savons, graisses et lessives).
Chez Freudenreich Joseph, les pertes sont astronomiques. 750 Kg de pommes de terres, 500 kg de blé, 300 kg d’orge, 250 kg d’avoine, 350 kg de briquettes et 200 kg de coques. Le tout perdu et emporté par les eaux. Dans la cave il y a 2 mètres d’eau et dans la cour Unterlinden 1 mètre. Les pertes sont impressionnantes. 12 moteurs électriques, une bouchonneuse, une tireuse, l’étiqueteuse, la capsuleuse et l’agrafeuse sont hors d’usage. Un fût de 30 Hectolitres détruit. 2000 capsules et 3000 bouchons perdus.
Chez l’épicière Baur Maria et au restaurant de Baur Léonie, (ville de Nancy) comme le local est au niveau de la route l’eau venant de la rue des Trois Châteaux et de la rue Porte Haute s’ engouffre par les ouvertures de l’épicerie et du restaurant. Au restaurant tout est renversé, les chaises et les tables sont détruites. En cave, c’est un désastre : la bière et le vin coulent à flots. Chez Maria à l’épicerie, on vendait encore les produits en vrac dans une armoire à tiroirs. 30Kg de sucre, 30 kg de riz, 36 paquets de persil, 15paquets de savon , 40 paquets d’allumettes, 42 paquets de papier Wc, et 15 tablettes de chocolats ont disparu.
Ci-dessus les déclarations de Léonie et Maria Baur épicière et restauratrice à la Ville de Nancy
Dégâts de grêles et de ravinement dans les vignes. Les pertes de récoltes sont estimées à 30% et les eaux de ruissellement ont emporté de fortes quantités de terre végétale. A l’époque on labourait au cheval chaque rang de vigne et l’enherbement n’était pas encore d’actualité ce qui accentuait fortement le ravinement. Chose qui aujourd’hui empêcherait fortement les coulées de boues.
Dégâts de submersion de boue dans les jardins du Bachoefelé (rue des Fleurs). C’est par là que les eaux boueuses trouvent leur chemin de sortie du village avant de se déverser dans le fossé du Malsbach à hauteur du cimetière. Il n’y avait là à l’époque que prés et jardins.
Une commission de partage des dons et aides composée des membres suivants s’est réunie le 22 décembre 1966 pour fixer les indemnisations :
Beyer Léon Maire, Curé Ebel, Albert Ambruster 1er Adjoint, Hausherr Céleste, Rostoucher Gustave, Freudenreich Pierre, Fuhrer Auguste, Madame Perathoner Alfred, Madame Gilg Adrienne.
Les aides accordées seront faibles et fonction des déclarations des propriétaires et consignés en Mairie dans un registre. Le crédit Agricole met en place des prêts à taux réduits et l’assurance Agricole accordera des exonérations d’assurance aux sinistrés. Par contre aucune assurance ne couvrira les dégâts de ravinement ou de submersion.
Que faire à présent pour éviter une telle catastrophe à l’avenir ?
Quatre grands projets pour un restant à charge communal de 1.014.150 Ff et qui dureront jusqu’en 1970, vont être menés à bien
Le 12 Août 1966 le chiffrage des dégâts de l’orage pour la commune se montent à 370.000 Ff dont 170.000FF à la charge de la commune financés par un emprunt sur 12 ans.
Pour les travaux d’assainissements urgents le devis du génie rural des eaux et forêts est estimé à 500.000 Ff dont 316.000 Ff à la charge de la Commune et financé par un prêt sur 30 ans à 5,25 % Ces travaux concernent les réfections et poses de rigoles d’évacuation d’eau sur les routes de Husseren, Porte Haute, Kirchmatt ,Rue du Bassin, et unteren Langseelweg.
Pour toucher les aides, Eguisheim est déclarée dès le 15 Juin 1966 zone sinistrée par la Préfecture. Mais ce n’est que le 28 avril 1967 que la déclaration d’utilité publique est prononcée par arrêté préfectoral. Celle ci permettra d’entreprendre les travaux en vue de pourvoir le village d’un réseau de protection contre les eaux d’orages.
Construction d’un bassin d’Orage de 8000 m3, rue du bassin, avec une importante canalisation d’évacuation d’eau pluviale par des buses de calibre 1,2m de diamètre pouvant absorber 5,40m3 d’eau à la seconde. Cette conduite de 1200 mètres, véritable pipeline , descend la rue de Hautvillers, contourne l’école « la Vigne en fleurs » et descend la rue du Traminer puis la rue des Fleurs pour ressortir après l’ancienne station d’épuration. Le coût global de ces travaux est estimé à 550.000FF dont 384.150 Ff à la charge de la commune qui le financera par un prêt à 5,25 % sur 30 ans.
Élargissement et consolidation du long chemin du Hohrain sur 1200 mètres y compris les ouvrages d’évacuation d’eaux pluviales. Coût du projet 300.000 Ff dont 144.000 Ff à la charge de la commune financés par un emprunt.
A présent il reste à conclure à l’amiable ou par expropriation à l’acquisition de nombreux terrains pour réaliser tous ces travaux. Les prix sont variables en fonction de l’état des terrains. Le total de ces transactions se chiffre à 74.700 Ff. Les surfaces globales sont de 2,02 hectares et concernent 148 parcelles .
Les prix sont fixés comme suit par le Conseil Municipal :
Voici les 3 listes des acquisitions foncières avec leurs valeurs d’achats :
Par Léon Baur, avril 2024
Pour faire ce travail de mémoire je me suis appuyé sur les archives locales et les interviews de témoins de ces nuits historiques du 12 et 13 Juin 1966.
Cette catastrophe naturelle a marqué l’histoire de notre cité. Après les deux guerres mondiales, c’est le troisième événement dramatique du 20ème siècle que les habitants d’Eguisheim ont subi. Je regrette qu’on n’ait pas gardé sur une façade d’Eguisheim le repère de la crue de 1966 pour faire mémoire de cette catastrophe.
Jadis, il n’était pas rare d’avoir de gros orages après de fortes chaleurs, dévastant en peu de temps, vignobles , cultures , chemins et jardins. Mais un tel déluge occasionnant de si importants dégâts n’est signalé dans les archives de la Société d’Histoire qu’une fois de plus, en 1866 soit 100 ans auparavant !
Grâce aux mesures de bon sens, prises courageusement après cette pluie centenaire, Eguisheim est restée depuis 1966 à l’abri d’une nouvelle inondation. Sachons poursuivre l’entretien de tous ces ouvrages qui jalonnent notre vignoble et qui ont pour but de retenir ou canaliser l’eau de pluie dans de bonnes conditions en évitant le pire.
Aujourd’hui où chaque projet d’envergure est soumis à tant de remises en question, à tant de solutions contradictoires, à tant d’atteintes à la propriété privée, ce projet titanesque aurait certainement eu bien du mal à se concrétiser. A l’époque pourtant, la solidarité était de mise et les 148 emprises nécessaires à la réalisation des ces ouvrages n’ont mis que quelques semaines à se finaliser sans recours à l’expropriation. Belle preuve que le village savait se retrouver dans l’adversité et la calamité pour surmonter les épreuves et rendre ce proverbe chinois si vrai :
« Pour pouvoir contempler un arc-en-ciel, il faut d’abord endurer la pluie ».